Posté à 5h00
                Mathieu Perreault La Presse             

« Ces gens sont venus nous voir dans les années 90 », explique Jacques Watso, membre du Conseil des Abénakis d’Odanak, près de Sorel, en parlant des Vermontois. « Ils voulaient renouer avec leurs traditions ancestrales. Nous les avons accueillis, leur avons montré la langue, la vannerie traditionnelle. Mais à un moment donné, nous avons commencé à poser des questions sur leurs ancêtres, et ils n’ont jamais eu de réponses. Alors, lorsqu’ils ont fait une demande de reconnaissance aux États-Unis, nous avons essayé d’intervenir. Mais ils nous ont dit que nous n’étions pas américains. » PHOTO DE LA PAGE FACEBOOK DE JACQUES WATSO L’agence d’Odanak a poursuivi les quatre groupes du Vermont en avril dernier. De gauche à droite : Mali O’Bomsawin, Jacques Watso et Jus Crea. Aucun des quatre groupes abénakis ciblés par la délégation d’Odanak (à savoir la bande Nulhegan de la Nation Coosuk Abenaki, la tribu Koasek Abenaki, la tribu Elnu Abenaki et la tribu Missisquoi Abenaki) n’a accepté d’être interviewé par La Hurry. Dans les médias du Vermont, Don Stevens, de la Nation Coosuk Abenaki, a dénoncé « l’oppression » de l’identité autochtone en réponse à la visite de la délégation d’Odanak. L’histoire débute dans les années 1970, au Vermont, lorsque la « bande de Missisquoi », dirigée par le « chef » Homer St. Francis, réclame des droits de chasse et de pêche. Puisqu’Odanak est sur la rivière Saint-François et qu’il s’appelait Saint François, il pensait que c’était la preuve qu’il était Abénakis. Jacques Watso, membre du Conseil des Abénakis d’Odanak Au tournant du millénaire, la bande Missisquoi cherche à être reconnue par le gouvernement fédéral américain. À la fin de 2002, le procureur général du Vermont, Bill Sorrell, a publié des preuves détaillées qu’il n’y avait pas eu de présence de groupes abénakis dans l’État depuis 200 ans. En 2005, le gouvernement fédéral a rejeté la demande de la bande de Missisquoi pour les mêmes raisons.

Groupes et généalogie

« Pour qu’un groupe autochtone soit reconnu, au Canada comme aux États-Unis, il faut qu’il y ait une continuité des pratiques communautaires dans un territoire établi », explique Eric Pouliot-Thisdale, généalogiste innu-mohawk et chercheur à l’Université de Montréal. Devant cet échec, les « Abénakis » du Vermont, au nombre de 6 000, se divisent en quatre groupes et persuadent l’État de créer une Commission des affaires autochtones. En 2011, ce dernier a reconnu quatre groupes abénakis. Cela leur donne le droit de vendre de l’artisanat abénakis et leur donne accès aux subventions du Vermont destinées aux Autochtones. “Les membres de la Commission faisaient partie de ces quatre groupes”, explique Christopher Roy, un anthropologue qui enseigne à la Temple University de Philadelphie. Ils disaient que les Abénakis du Vermont devaient transmettre leurs coutumes en secret à cause du racisme. » Ce secret a permis d’éviter le fait gênant de l’absence de groupes abénakis recensés du Vermont au début des 19e et 20e siècles, qui a conduit en 2005 au rejet de la demande soumise au gouvernement fédéral. Il suffisait alors de prouver, par la généalogie, la présence d’ancêtres abénakis. J’avais fait des recherches généalogiques sur la bande Missisquoi il y a 20 ans. Je n’avais rien trouvé donc ils ont changé de généalogistes. Christopher Roy, anthropologue Pourquoi le procureur général du Vermont, Bill Sorrell, ne s’est-il pas opposé à la reconnaissance des quatre groupes en 2011 ? « La reconnaissance fédérale risquait d’entraîner des casinos et des revendications territoriales, explique Me Sorrell, qui a pris sa retraite en 2017. La reconnaissance du Vermont n’a pas fourni ces droits. » La plainte de la délégation d’Odanak n’a pas perturbé les relations de l’État du Vermont avec les quatre groupes abénakis. M. Stevens, de la nation Coosu Abenaki, était associé en 2020 dans un programme de langue abénaki au Middlebury College. “Nous continuerons d’enseigner l’abénaki, une langue algonquienne en voie de disparition qui fait partie de la culture locale de notre région”, a déclaré Sarah Ray, responsable des communications à Middlebury.

Nuances importantes

Certains des membres des quatre groupes controversés sont en fait des Abénakis d’origine d’Odanak, selon Douglas Buchholz. Ce généalogiste abénaki du New Hampshire blogue contre la reconnaissance des quatre groupes du Vermont, Reinvented Vermont Abenaki. PHOTO DU SITE INTERNET DE DIANE CUBIT Diane Cubit avec une élève des Ateliers d’artisanat des Abénakis Diane Cubit, une Abénakise d’Albany, New York, est membre de la communauté d’Odanak, mais au Québec. “Quand j’étais jeune, ma famille s’est découvert un lien avec les Abénakis d’Odanak via le Vermont”, raconte-t-elle. Dans les années 1990, Homer St. Francis m’a donné une carte de membre de la bande Missisquoi et j’ai participé à leurs activités. Les danses étaient étranges, c’était différent de ce que ma grand-mère m’avait appris. » À cette époque, il était plus difficile de faire les recherches généalogiques nécessaires pour s’inscrire à Odanak. Cela a incité plusieurs vrais Abénakis du Vermont à se joindre à la bande de Missisquoi. Diane Cubit, une Abénakise d’Albany Le cas de John Sherwin illustre ces difficultés administratives. Ce gardien de sécurité d’un centre commercial de Las Vegas est d’origine abénakise d’Odanak, selon les recherches de MM. Buchholz et Roy. Cependant, il est membre de la bande Missisquoi. « Faire partie de la Missisquoi me permet de reconnaître mes racines autochtones, dit M. Sherwin. Je ne comprends pas ceux qui veulent nous diviser. Pourquoi n’a-t-il pas fait les démarches pour se joindre à la communauté d’Odanak? “J’ai servi en Irak, j’ai divorcé, j’ai du mal à joindre les deux bouts, tous ces processus sont très compliqués”, explique-t-il.

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Nombre total d’Abénaquis? 380 d’entre eux vivent à Odanak et 1 000 vivent aux États-Unis Source : Conseil des Abénakis d’Odanak

Ascendance canadienne-française

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE Selon le Conseil des Abénakis d’Odanak, environ 380 membres de la Nation Abénakise vivent dans cette communauté près de Sorel. La plupart des membres des quatre groupes abénakis du Vermont revendiquent un ancêtre québécois pour justifier leur ascendance autochtone. «On voit Lanctôt qui est devenu Longtoe», raconte Jacques Watso, membre du Conseil des Abénakis d’Odanak, qui s’est rendu au Vermont en avril. Il y a eu beaucoup d’immigration du Québec vers le Vermont pendant la révolution industrielle, et cela a parfois provoqué des réactions négatives parmi les Vermontois. Ils ont donc pris cette histoire de discrimination et l’ont transformée en discrimination contre les Autochtones. Au lieu d’embrasser leur héritage canadien-français catholique rural, ils choisissent la culture autochtone parce qu’ils la trouvent plus belle, plus noble, mystique. » Cette prétention aux racines autochtones a également affecté les Cherokee, selon Circe Sturm, une anthropologue Cherokee de l’Université du Texas qui a publié un livre sur le sujet, Becoming Indian: The Struggle Over Cherokee Identity. “Nous avons vu de nombreux cas de racines Cherokee revendiquées par des personnalités publiques qui se sont avérées inexistantes”, a déclaré Mme Sturm. C’est le cas de la sénatrice Elizabeth Warren, candidate à la primaire démocrate de 2020, comme le rapportent plusieurs médias, dont NPR. Environ 60 groupes indigènes sont reconnus par divers États, mais pas par les autorités fédérales américaines, selon la National Conference of Legislative…