Alors que le gouvernement réfléchit aux mesures qu’il souhaite maintenir en place en 2023, vous vous demandez peut-être pourquoi les prix sont si élevés. Franceinfo essaie de vous les résumer.

J’ai entendu dire que les prix de l’électricité allaient exploser. Pourquoi ?

La France traverse une crise énergétique depuis des mois, mais l’annonce de prix de gros record de l’électricité le 26 août a encore accru les inquiétudes. Il confirme que le problème durera, les tarifs de l’électricité achetée à l’avance pour 2023 atteignant plus de 1 000 € par mégawattheure (MWh), contre 85 € un an plus tôt. Ils ont un peu baissé depuis, mais restent élevés et alarmants. La principale explication est l’indisponibilité, pendant des mois, de plus de la moitié des réacteurs nucléaires français. Mardi 6 septembre, 28 des 56 réacteurs du territoire sont à l’arrêt. Le nucléaire fournit généralement 70 % de la production d’électricité de la France. Ces arrêts paralyse la France dans une partie importante de sa production d’électricité. C’est l’une des raisons pour lesquelles le gouvernement craint des coupures cet hiver, lorsque la demande culmine. La France doit trouver de l’électricité par d’autres moyens, en redémarrant des centrales à gaz ou en achetant de l’électricité. Une option plus coûteuse que l’électricité nucléaire qui nous alimente habituellement. L’anxiété joue également un rôle dans la hausse du marché : “[les acheteurs] ils sont en train de maintenir le pire scénario pour tous les jours ouvrables d’hiver. Pourtant, nous n’en sommes pas là du tout », a déploré le patron de RTE Xavier Piechaczyk dans un entretien aux Echos (lien abonné) le 2 septembre.

Pourquoi tant de réacteurs nucléaires s’arrêtent-ils ?

Il y a plusieurs raisons à ce désastre. Le principal est la découverte, en octobre 2021, d’un problème insoupçonné dans un réacteur de la centrale de Civaux (Vienne) : la corrosion affectant les canalisations d’un circuit censé refroidir le réacteur en cas d’incident. Depuis, le phénomène a été observé dans d’autres endroits. Après une série de tests et la mise au point d’une nouvelle méthode pour diagnostiquer ce problème, EDF promet désormais de tester tous ces réacteurs d’ici 2025. Deux réacteurs sont actuellement à l’arrêt à cause de cette corrosion et onze autres, arrêtés pour d’autres opérations ou pour rechargement, voient leurs arrêts prolongés pour contrôles, selon un comptage EDF transmis à franceinfo. Le 25 août, la société a annoncé que quatre de ces réacteurs, à Cattenom et Penly, seraient reconnectés au réseau plus tard que prévu, entre le 1er novembre et le 23 janvier. Cela a contribué à l’augmentation du prix de l’électricité sur les marchés. Ce problème de corrosion survient lorsque d’autres réacteurs ont déjà été arrêtés sur une base programmée. Certaines font l’objet de travaux dans le cadre du grand carénage, programme de prolongation de la durée de vie des centrales françaises. Et d’autres sont arrêtés lors de leurs visites décennales : tous les dix ans, les réacteurs sont inspectés pour que l’Autorité de sûreté nucléaire autorise la poursuite de l’exploitation des centrales. Une échéance difficile à repousser malgré la crise : “On a déjà fait les deux hivers précédents pour reporter les visites car il y avait déjà des tensions. Mais on ne peut pas les faire alors que ces réacteurs ont 45 ans”, rappelle Nicolas Goldberg, un énergéticien. expert chez Columbus Consulting. EDF s’est “engagé à redémarrer tous les réacteurs pour cet hiver”, a toutefois assuré vendredi la ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher à la sortie du Conseil de défense. Quatre réacteurs en maintenance ont depuis été reconnectés au réseau et huit autres devraient l’être d’ici fin septembre, selon le calendrier publié par EDF. L’entreprise explique à franceinfo que “le planning des travaux de maintenance a été modifié pour 15 arrêts programmés des réacteurs afin de les maintenir en production tout l’hiver”. Quatre réacteurs ont coupé le combustible pour “optimiser leur disponibilité” cet hiver. Cependant, certains arrêts se poursuivront pendant une grande partie de la saison froide : les cinq derniers redémarrages programmés se situent entre janvier et le 18 février 2023. De plus, les centrales nucléaires ne sont pas les seules sources d’énergie affectées par des facteurs externes cette année : les barrages ont souffert de la sécheresse. Selon EDF, la production d’hydroélectricité au premier semestre, avant même les pointes estivales, a été inférieure de près d’un quart à celle d’un an plus tôt (-23,1%).

Cette crise n’est donc pas liée à la guerre en Ukraine ?

Si la Russie n’avait pas lancé d’attaque contre l’Ukraine en février dernier, la France connaîtrait toujours une crise énergétique. Mais cette invasion est un facteur aggravant : elle perturbe le marché du gaz naturel, et l’onde de choc se fait sentir sur le marché de l’électricité. Certaines centrales électriques en France et sur le continent utilisent du gaz naturel pour faire fonctionner leurs turbines et produire de l’électricité. Pour combler les lacunes créées par les arrêts successifs de ses réacteurs nucléaires, la France est contrainte d’utiliser davantage cette source d’énergie sur son sol et d’importer davantage d’électricité des pays voisins qui la produisent, en partie avec du gaz. Cependant, depuis le début de la guerre, le prix du gaz naturel a monté en flèche parce que l’Europe était tellement dépendante du gaz russe. Le 26 août, l’indice néerlandais TFF, qui sert de référence en Europe, a culminé à près de cinq fois son niveau de mi-février (il a baissé depuis, mais reste très élevé). Pour les centrales au gaz, produire de l’électricité est donc beaucoup plus cher et elles répercutent ce surcoût sur leurs tarifs. L’organisation du marché européen de l’électricité contribue au problème. Lorsque les fournisseurs achètent de l’électricité, qu’elle provienne d’éoliennes, de barrages ou de centrales électriques au gaz, ils la paient au prix de la dernière source d’électricité mobilisée ce jour-là. À l’heure actuelle, ce sont les centrales électriques au gaz, qui sont très demandées pour compenser les arrêts de nos réacteurs. Résultat : toute l’électricité du marché journalier est payée à un prix gonflé par la crise du gaz.

On vous explique pourquoi l’UE veut réformer le marché européen de l’électricité Affaire “absurde”, s’inquiétait Emmanuel Macron en juin : “Vous avez des prix de l’électricité qui montent en flèche et qui n’ont plus rien à voir avec les coûts de production.” La Commission européenne, qui a longtemps défendu ce système par le passé, a annoncé le 29 août une “intervention d’urgence” pour freiner la hausse des prix et, à terme, une “réforme structurelle”. Mais personne ne sait encore quelle forme cela prendra ni combien de temps il faudra pour le réaliser. Lundi, Emmanuel Macron a esquissé un morceau également repris d’Allemagne : réclamer une “contribution européenne” des énergéticiens qui profitent de ces prix artificiellement élevés qui permettraient aux Etats de financer leurs mesures d’aide.

La facture d’électricité va-t-elle exploser dans les mêmes proportions ?

Si vous craignez de devoir vous aussi débourser 1 000 euros pour ce qui vous en coûtait 85 il y a un an, rassurez-vous, ce n’est pas si mécanique. Tout d’abord, ce chiffre alarmant, c’est le prix d’un MWh quand on essaie de l’acheter d’avance pour 2023. Quand, par exemple, on l’achète du jour au lendemain, le prix est un peu moins cher, comme l’indique le site de RTE. En pratique, les fournisseurs combinent les achats à court terme et à long terme. Votre facture sera plus ou moins exposée à des fluctuations selon que votre contrat est aligné sur les prix du marché ou sur le tarif réglementé de l’électricité, que seul EDF peut proposer. Mais quel que soit votre contrat, les prix du marché ne sont qu’une partie de la facture, rappelle Nicolas Goldberg, expert en énergie chez Columbus Consulting. “Les deux tiers de votre facture vont aux taxes et à l’entretien du réseau”, qui ne devraient pas augmenter, rappelle-t-il. Le tiers restant est en partie constitué par l’électricité produite par les réacteurs nucléaires d’EDF, que l’entreprise doit revendre à des fournisseurs concurrents à un prix réglementé, désormais bien moins cher que les marchés. Cette quantité d’électricité a été augmentée de 20% par l’Etat en mars, pour limiter la hausse des tarifs proposés par ces fournisseurs alternatifs. Il s’agit donc d’environ “un sixième” du prix que vous payez, qui est susceptible de fluctuer, estime Nicolas Goldberg. Mais dans des proportions non négligeables : “Si l’Etat ne prend pas de nouvelles mesures, on assistera à une augmentation de la facture totale entre 30 et 50%”,…